RENCONTRES EUROPEENNES DE LUXEMBOURG

Europe: ce qui nous unit

Merci à tous ceux qui nous ont rejoints, le vendredi 29 avril, au Cercle Cité pour notre premier débat de l’année: « Europe: ce qui nous unit ».

Merci à nos deux oratrices de qualité, l’ancienne vice-présidente de la Commission européenne Viviane Reding et la professeure Anna-Lena Högenauer.

Rencontres Européennes Luxembourg

Rencontres Européennes Luxembourg

Ce texte vise modestement à retracer les propos perçus comme essentiels des présentations faites par Mme Viviane Reding et Mme Anna-Lena Högenauer, lors des 24e Rencontres européennes de Luxembourg le Vendredi 29 avril 2022 au Cercle Cité (Luxembourg)
« Europe : ce qui nous unit »
M. Thierry Nelissen, journaliste ayant le rôle d’animateur et Monsieur Alvin Sold Président des rencontres concluant l’échange.

La construction de l’Union Européenne est une aventure unique dans le monde pour laquelle des Etats membres ont progressivement accepté des transferts progressifs de souveraineté. Des Etats nations ont accepté de tirer des leçons de l’histoire et de progresser par l’analyse de l’expérience et la recherche patiente des compromis. Cette acceptation d’une nouvelle approche de la politique européenne est née des souffrances de la guerre, de l’inhumanité des camps et de l’énergie des résistances. Il semble difficile d’imaginer que ce modèle soit duplicable dans le reste du monde.

Il est opportun de se rendre compte que les pères de l’Europe étaient « des hommes des frontières » qu’ils ont transformées en passerelles et non des barrières.

Le 9 mai 1950 « L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera si des réalisations concrètes créent d’abord une solidarité de fait. » Schumann à Adenauer.

Le premier marché mondial

L’aventure a commencé par un projet réaliste, la CECA, en mettant en commun les problèmes de charbon et d’acier, les pays membres ont commencé à unifier leurs économies. Le marché de l’Union européenne est le premier marché mondial et peut être demain, le deuxième après celui de la Chine. Le fait d’avoir organisé en commun les économies permet de se protéger collectivement, même une économie forte peut être attaquée si elle est isolée.

Les circonstances ont constamment amené les pays membres à travailler plus ensemble. Une monnaie commune est née, probablement dans la complexité et la douleur mais l’euro reste un symbole de la construction européenne auquel les européens tiennent.

L’apparition de difficultés comme le Covid a montré la nécessité de trouver les fonds pour aider les États membres et gérer en commun les achats de vaccins. La mutualisation d’une partie de la dette a été acceptée en 2021.

L’Union Européenne a développé à travers ses programmes européens une recherche de très haute valeur ajoutée, mais elle s’est révélée très mal outillée pour conserver ses chercheurs sur son territoire et être attractive pour les chercheurs étrangers.

Il faut poursuivre le développement d’un marché des capitaux européens permettant de financer les pôles stratégiques économiques pour rester au niveau des USA et de la Chine. Ce qui permettra de garantir l’avenir des technologies en Europe.

L’Union Européenne a notamment réussi avec le développement de standards pour la protection et l’échange des données via le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) qui est devenu le standard mondial.

Le Digital Market Act (DMA) et le Digital Service Act (DSA) régleront respectivement l’accès aux marchés numériques et l’accès aux services numériques. La législation en question vise à s’assurer qu’aucune plateforme en ligne qui se trouverait dans une position de « Contrôleur d’accès » vis à vis d’un grand nombre d’utilisateurs n’abuse de sa position au détriment d’autres entreprises. L’Union Européenne a pris le rôle de créateur de standards, mais il faut s’attendre à ce que la Chine choisisse de développer ses propres standards en concurrence de ceux de l’Union Européenne. Le clash est prévisible.

Place à l’humain

Progressivement l’Union Européenne a donné une place à l’être humain, ce qui n’existait pas dans les premiers traités. Au début n’existait que la libre circulation des travailleurs.

  • En 1992 le traité de Maastricht instituait l’Union européenne qui prévoyait la Citoyenneté européenne qui était conditionnée par la citoyenneté nationale d’un des pays membres de l’Union Européenne.
  • En 2009 le traité de Lisbonne apporte la Charte des droits fondamentaux qui prend valeur de traité et définit les droits fondamentaux des citoyens. Elle sera une référence constante de la Cour de Justice pour ses délibérations.

L’Union européenne a dû innover pour régler les différents existants entre les différents Etats membres. La Cour de justice a développé ses jurisprudences en se référant en particulier à la Charte des Droits fondamentaux pour appuyer ses jugements.

La Cour de Justice de l’Union Européenne a établi une jurisprudence impensable au début de l’aventure européenne. C’est l’apparition régulière des difficultés et conflits qui a permis de générer ce considérable recueil de principes et de règles.

En 2021, le droit communautaire avait suffisamment évolué pour permettre à une majorité qualifiée de condamner la Hongrie à des pénalités pour ne pas respecter certains droits fondamentaux de ses propres citoyens.

Grâce à l’adoption de la majorité qualifiée pour ce domaine, il a été acté en 2013 la création d’un Procureur européen qui est installé depuis 2020 au Luxembourg.

À la question faut-il privilégier l’élargissement géographique ou l’approfondissement du fonctionnement communautaire ?

Il apparaît qu’actuellement les possibilités d’élargissement géographique sont très limitées puisque les futurs États membres doivent remplir certaines conditions préalables (économie, droits des citoyens.) et que l’approfondissement reste illusoire puisqu’actuellement il faut l’unanimité pour bouger les traités. Lorsque le grand élargissement a eu lieu après la chute du mur, la grande priorité des pays de l’Est était l’accès à l’Otan puisque la sécurité vis-à-vis de la Russie était leur principale préoccupation.

L’unanimité et ses limites

Les développements récents ont aussi montré l’impossibilité d’exclure un État membre ne respectant pas les critères de l’Union européenne. Il n’est pas actuellement réaliste d’introduire un tel dispositif en raison de la règle de l’Unanimité.

Actuellement les extensions de fonctionnalité de l’Union européenne ne se font que lorsqu’un intérêt commun permette la décision unanime des États membres. Acheter du gaz en commun ou du pétrole de manière centralisée et cumulée offre un énorme effet de levier comparé à l’achat en ordre dispersé.

La proposition de Schaüble d’augmenter les prérogatives de l’Union européenne pour un sous ensemble d’États membres, un peu à la manière des accords de Schengen, pourrait laisser espérer de parvenir à une meilleure coordination des États membres à terme.

De toute façon, ce sont les crises qui font évoluer la pratique de l’Union européenne. Nous pouvons aujourd’hui lister un certain nombre de dossiers sur lesquels une gestion commune prend un sens croissant :

  • Les vaccins : achat en commun et soutien aux laboratoires en cas de crise aigüe.
  • L’achat et peut être l’approvisionnement des matières premières.
  • Les droits de la concurrence.
  • La création de champions européens qui est actuellement un domaine de faiblesse de l’Union européenne.
  • Extension du concept de mutualisation de la dette.

Unis par pragmatisme?

Faire avancer l’Europe par les symboles ou par la convergence ?

Est-ce le symbolisme qui nous divise et/ ou le pragmatisme qui nous unit ?

Faire avancer l’Europe par les symboles requiert une volonté de long terme qui semble difficile à mobiliser. L’énergie qu’il a fallu pour consolider l’euro atteste de la difficulté de ces projets symboliques. Il faudra continuer à profiter des consensus générés par les crises pour faire progresser le droit communautaire vers plus de cohérence. Le statu quo pourrait être une erreur.

Pour répondre à la question « Europe : ce qui nous unit », nous devrions nous souvenir de l’expérience du Royaume Uni quittant l’Union européenne qui a dû importer provisoirement dans la loi britannique des « montagnes de textes » à utiliser provisoirement le temps de rédiger ses propres versions et interprétations.

Nous devrions aussi constater que la mise à jour en est à peine entamée et que pour régler le problème irlandais il faudra encore bien des polémiques et des allers et retours entre l’Union européenne et le Royaume Uni.

Approfondir l’intégration ou l’élargissement :  quelle est la priorité ?

Les États membres originaires de l’Est de l’Europe, en adhérant à l’Union européenne, avaient pour priorité de conforter leur sécurité plutôt que l’intégration économique. Pour ces derniers, la valeur de la liberté était importante.

Une des réponses pourrait être que l’Union européenne fonctionne avec une géométrie variable à partir de cercles concentriques.

Comment combattre l’euroscepticisme ?

Il existe certes au niveau des citoyens une certaine frustration dans certains États membres à la fois contre la politique nationale et européenne. Mais parallèlement, les citoyens sont en attente de politiques communes sur l’écologie, la santé, la protection sociale.

Sans préjudice d’un débat encore plus approfondi, nous pourrions alors considérer que nous unissent :

  • Tous ces textes et toutes ces procédures qui ont normalisé le vocabulaire et les concepts nécessaires à la discussion entre États membres de manière bilatérale ou globale.
  • La Charte des droits fondamentaux
  • L’existence d’une Cour de Justice permettant de régler les conflits entre États membres, entre l’Union et un ou des États membres ou bien encore les conflits entre citoyens et l’Union européenne
  • L’existence de « forums » où la discussion entre États membres peut faire progresser les réflexions et les avis du Conseil des ministres, de la Commission ou du Parlement européen.
  • L’acceptation par tous les États membres que les crises se résolvent la plupart du temps par la discussion ou la flexibilité dans la proposition.
  • Et plus fondamentalement l’acceptation que l’Union européenne ne peut pas perdurer comme une organisation figée dans le temps.

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